Thibaut Cuisset

« L’Association Lézigno m’a proposé de travailler sur les mutations paysagères de l’Hérault, notamment ces franges urbaines et littorales où nature, espace rural et croissance de la ville se trouvent en interaction, en évoquant en particulier le développement des lotissements dans le département. J’ai alors proposé en retour d’inscrire ce propos dans un portrait plus général du département, au travers d’un regard porté sur les paysages locaux. Dresser en quelque sorte un observatoire du paysage non nostalgique de l’Hérault, en une quarantaine de photographies. » Thibaut Cuisset

C’est ainsi que voit le jour la mission photographique Regard sur un département, qui interroge le phénomène urbain dans l’Hérault depuis ses espaces intermédiaires, partant du constat suivant : « Le département de l’Hérault voit aujourd’hui sa croissance démographique engendrer des transformations profondes du territoire, notamment sur les franges urbaines et littorales, où la nature, l’espace rural et la croissance de la ville sont dans la plus vive interaction ». Le sujet de la commande est co-construit par Nicolas Mignani, président de l’association et Thibaut Cuisset, et la possibilité d’une évolution du travail au fil de la commande est envisagée. Il s’agit d’une commande où la contrainte est limitée et dans laquelle les discussions avec le commanditaire semblent avoir été régulières.
Les conditions de cette commande sont engageantes : quatre sessions de dix jours réparties sur différentes saisons, la production d’une exposition, l’organisation d’un colloque sur les mutations paysagères de l’Hérault et l’édition d’un ouvrage.

La publication de l’ouvrage Un Hérault contemporain, comprenant 55 images issues de la commande, est l’occasion de plusieurs collaborations : un entretien avec Paul Ardenne, un texte de l’architecte Jacques Ferrier et un texte du paysagiste Gilles Clément sur le travail du photographe.

Cette commande permet à Thibaut Cuisset de poursuivre ses photographies des espaces intermédiaires, « intermédiaires entre la ville traditionnelle et la campagne ou bien entre la campagne et l’espace inviolé », sur un territoire qui lui est cher puisque la lumière méditerranéenne l’a toujours attiré. Une nouvelle fois, cette série nous expose l’équilibre entre l’approche documentaire et l’esthétisation, qu’il précise en ces termes lors de l’entretien réalise avec Paul Ardenne à l’occasion de l’édition de l’ouvrage lié à la commande :

« Tout regard sur le monde ne doit, ni se suffire d’une description sommaire – car alors on reste au niveau du document –, ni sombrer dans une esthétisation outrancière – sinon, on projette son monde. Toute représentation passe par une expérience esthétique forte, qui s’éprouve à un moment donne. »

Le fait qu’il s’agisse d’une commande – qui plus est traitant des mutations paysagères – et que la présentation sérielle soit essentielle pour le photographe lui permet de considérer un nombre important de photographies où l’aspect descriptif prend le pas sur l’aspect esthétique, sans que l’équilibre ne soit rompu.

Gilles Clément – qui théorise la notion de tiers paysage – souligne d’ailleurs dans son texte, intitulé Le risque inouï de l’ordinaire, que le pays – sous entendu le paysage – se trouve là où les hommes vivent mais que se rendre à cet endroit revient à prendre le « risque inouï de l’ordinaire », ce que fait Thibaut Cuisset. Ces photographies, vides de présence humaine et témoins de la transformation du paysage, représentent pourtant la vie.

« C’est bien là qu’on habite : dans la géographie du délaissement.
... On irait jouer à l’herbe, trousser les terrains vagues, on ferait un feu sur les cailloux avant mars à cause des incendies, on lancerait des ballons, on arracherait les ailes des papillons, il y en a encore, on ferait tout ce qui se cale dans les failles du texte, juste au milieu des interdits, dans le silence étrange et insondable de l’art. On irait vivre. 
Tel est le risque inouï de l’ordinaire.» Gilles Clément

Finalement, cela rejoint ce qu’évoque Jean-Christophe Bailly lorsqu’il parle de Thibaut Cuisset comme un photographe de l’état latent : ses photographies ne représentent pas une histoire mais la possibilité qu’il y en ait une.